Tirer un autobus avec ses dents, soulever un cheval ou un poids de 145 kg (320 lb) à un doigt… Leur force a frappé l’imaginaire et les a menés aux quatre coins du globe. Retour dans le temps dans l’univers des frères Baillargeon, jadis la famille la plus forte du monde.
À 350 kilomètres de Montréal se niche le petit village de Saint-Magloire, dans la région de Chaudière-Appalaches. Un havre de paix de 725 habitants. En face de l’église, la fenêtre d’une vieille maison ancestrale est recouverte d’une affiche où l’on voit six hommes forts qui posent fièrement. Il s’agit des frères Baillargeon : Jean, Charles, Adrien, Lionel, Paul et Antonio.
Réjean Lévesque nous invite à entrer pour découvrir ce musée. Ses premiers mots sont sans équivoque : « Jusqu’à preuve du contraire, c’est la famille la plus forte du monde. »
Dans les années 1900, ces frères dotés d’une force herculéenne vont frapper l’imaginaire. Ancien policier à la Ville de Québec, Réjean Lévesque les a bien connus et a décidé d’écrire un livre, Hommage aux célèbres frères Baillargeon, pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli.
C’est une famille vraiment spéciale. Six frères qui sont forts et qui ont accepté de faire des tours de force ensemble un peu partout en Amérique avant d’aller dans le domaine de la lutte. Quand ils faisaient des démonstrations dans les paroisses, les six frères étaient là, en rangée, comme des soldats. Pis là, ils invitaient le monde à essayer leurs poids pour montrer que ce n’était pas du marshmallow. Quand ils mettaient 400 livres, c’était vraiment 400 livres. Ils n’ont jamais été battus.
La porte du Musée des Frères Baillargeon s’ouvre et un petit colosse s’avance vers nous le sourire aux lèvres. En lui serrant la main, on découvre immédiatement un air de famille. C’est Guy, le fils de Lionel.
« La particularité de mon père, c’était son agilité, explique-t-il. Il était moins gros que les autres, mais plus élancé. Il sautait sur les câbles. Il pouvait prendre un ciseau de tête même si le gars mesurait 6 pieds 2. Il sautait assez haut pour le virer à l’envers juste avec le bout de ses pieds. Mon oncle Adrien, lui, sa spécialité, c’était une planche avec 18 personnes dessus […] Mon oncle Jean, il soulevait 320 livres avec son petit doigt. La force énorme qu’il avait! Pis il y avait mon oncle Charles. Lui, c’était le tirage de l’autobus avec ses dents. Mon oncle Paul, lui, soulevait un cheval dans les poteaux. »
Pour soulever le cheval, Paul Baillargeon devait grimper tout en haut d’un poteau de téléphone. Il plaçait le cheval de plus de 400 kg (880 lb) dans une caisse de bois et il soulevait le tout.
À 98 ans, Lionel Laverdière se souvient très bien de ce tour de force, car c’était son cheval qui était soulevé. Tiré à quatre épingles, le nonagénaire se souvient des exploits des six frères comme si c’était hier. Il a été témoin de leur force spectaculaire.
J’étais avec eux dans le bois et j’ai vu des choses extraordinaires, se souvient-il. À l’époque, il n’y avait pas de machinerie comme aujourd’hui. Les machines, c’étaient eux! Il fallait les voir transporter à mains nues les billots de bois comme si c’était des allumettes.
L’héritage d’une mère
Dans la petite maison qui renferme les plus beaux objets des Baillargeon, il y a une photo d’une femme au physique imposant. C’est Maria, la maman. Réjean Lévesque confirme que la génétique des six frères venait de cette femme.
« Leur mère, c’est quelqu’un qui pesait pas loin de 300 livres, elle était vraiment forte », raconte-t-il.
Pendant que le biographe nous parle des exploits des six frères, comme l’épisode de 1961 où Jean, l’aîné, a déchiré le bottin téléphonique de la ville de New York, une petite femme d’au moins 70 ans entre à son tour dans la pièce. C’est Aurore Guillemette-Ménard, l’amie de Maria, la mère Baillargeon.
C’était une grosse madame, pis elle était imposante, dit-elle. Elle devait avoir de l’autorité à part de ça. Elle enseignait. Et quand il y avait des classes difficiles, on allait chercher Mme Baillargeon pour mettre de l’ordre dans la classe.
Des Globe-trotteurs
Aurore Guillemette-Ménard a vu grandir les frères Baillargeon. Selon elle, ils n’étaient pas destinés à faire le tour du monde.
« C’était avec leur force qu’ils travaillaient, eux autres. Mais ils ne savaient pas qu’ils étaient forts. Ce sont les autres qui leur disaient qu’ils étaient extraordinaires. Jean, il a levé un char et il l’a tassé parce qu’il avait fait un flat. Pendant qu’il soulevait le char, un autre frère changeait le pneu. Ils aidaient les gens avec leur force, mais personne ne savait qu’ils allaient devenir des hommes forts. »
« Eux autres, ils n’avaient pas besoin de s’entraîner dans les gymnases, ajoute Réjean Lévesque […] Pourquoi c’est la famille la plus forte du monde? Il y a sûrement des personnes dans le monde qui sont fortes. Mais six frères d’une même famille avec toute une musculature et qui ont accepté ensemble de faire des tours de force, je n’ai jamais vu ça.
« Il faut dire que leurs tours de force et leur aptitude à la lutte vont emmener les six frères aux quatre coins de la planète. Imaginez, il y en a même un qui va devenir champion du Japon. Quand ils sont arrivés là-bas, tout le monde voulait les toucher, car avec leur grandeur et leur imposante musculature, ils avaient l’air d’extra-terrestres. »
Nous aurions pu rester plusieurs jours à écouter les exploits de cette incroyable famille, car tout ce beau monde était intarissable. Au fur et à mesure qu’un souvenir remontait à la surface, c’était comme une surenchère entre les témoins. Une sorte d’encan de l’histoire Baillargeon.
La maison ancestrale renferme tous les souvenirs de cette famille exceptionnelle. Un héritage inestimable réuni par un groupe de bénévoles qui ne veulent surtout pas qu’on oublie les frères Baillargeon.
Source: Robert Frosi, Radio-Canada, le 16 octobre 2019